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Chasseurs de fantômes

Dans la mer, il y a des organismes bien moins connus et plus discrets que les algues, les mollusques, les vers, les éponges ou les crustacés : les pycnogonides.

Ces mystérieux animaux possèdent huit pattes, comme les araignées, mais forment un groupe à part au sein des arthropodes (le groupe qui contient les arachnides, les insectes, les crustacés et les mille-pattes) avec des traits morpho-anatomiques, éthologiques et écologiques qui leurs sont propres, comme par exemple une trompe en avant de la tête, ou un soin paternel donné aux œufs. Mouvements lents, couleurs ternes, petite taille (quelques millimètres tout au plus), corps grêle et souvent transparent : les pycnogonides sont parmi les créatures les plus invisibles du benthos – des « araignées fantômes » qui voient sans être vues, jouant pour elles-mêmes leurs indéchiffrables pantomimes. L’équipe de la Planète Revisitée s’est donc lancée à la chasse aux fantômes.

Achelia sp. © MNHN - R. Sabroux Achelia sp. © MNHN - R. Sabroux
Anoplodactylus sp. © MNHN - R. Sabroux Anoplodactylus sp. © MNHN - R. Sabroux
Pycnogonum sp. © MNHN - R. Sabroux Pycnogonum sp. © MNHN - R. Sabroux
Callipallene phantoma © MNHN - R. Sabroux Callipallene phantoma © MNHN - R. Sabroux

Une véritable petite équipe s’est montée d’elle-même, motivée par l’envie commune d’apporter à la science un nouveau regard sur ces animaux méconnus. Chacun y va de sa technique : Inmaculada, Laure, Madeleine et moi-même, inspectons les récoltes sous les loupes binoculaires, détricotant les algues, fouillant la vase et égrainant le sable à l’aide de nos pinces. De leur côté, Anne-Laure, Fanny, Arseniy, Francisco et Sébastien préfèrent travailleur à l’œil nu en s’aidant de leur lampe frontale, scrutant le contenu des barquettes à la recherche d’une apparition. Mais on ne se saisit pas si facilement des araignées fantômes : discrètes, elles apparaissent parfois dans votre vision périphérique, puis s’évanouissent entre les posidonies. D’autres fois, ce ne sont que des hallucinations engendrées par les formes des filaments d’algues rouges qui s’entrecroisent, par les polychètes et les nématodes qui font onduler l’eau.

Sébastien Soubzmaigne (à gauche) et Inmaculada Frutos (à droite) à la recherche (entre autres) de pycnogonides Sébastien Soubzmaigne (à gauche) et Inmaculada Frutos (à droite) à la recherche (entre autres) de pycnogonides © MNHN - R. Sabroux

Alors, pour se donner du courage dans cette partie de cache-cache, les trieurs ont lancé un concours. Il y a même un barème en fonction de la rareté des espèces dénichées. Car l’objectif de la Planète Revisitée, c’est moins une question de quantité que de diversité : un point pour un Achelia, trois pour un Ascorhynchus, dix pour un Pycnogonum et jusqu'à cinquante pour le minuscule Rhynchothorax !

Score du concours "Pycno" Score du concours "Pycno" © MNHN - M. Rabiller

Travaillant sur ce groupe depuis quelques années, je me charge d’entamer l’identification de nos trouvailles – mais la taxonomie est un processus long, et les noms d’espèces ne seront définitivement donnés que bien plus tard, de retour au Muséum, après la consultation de nombreux « codex » qui n’ont rien d’ésotérique : des clefs d’identification, des descriptions et des illustrations faites par les scientifiques de toutes époques. Il sera peut-être aussi nécessaire de les comparer à d’autres spécimens qui ont été collectés par les auteurs précédents, et qui se trouvent dans les collections du monde entier.

 Un pycnogonide que l'un des trieurs à la loupe a trouvé dans une cuvette de tri. Et vous, le voyez-vous? Un pycnogonide que l'un des trieurs à la loupe a trouvé dans une cuvette de tri. Et vous, le voyez-vous? © MNHN - R. Sabroux

La recherche des pycnogonides n’est pas chose courante dans les campagnes océanographiques, et on peut compter le nombre de spécialistes à travers le monde sur les doigts des deux mains. Ainsi, intégrer les pycnogonides aux expéditions du Muséum n’avait rien d’évident. Mais la Planète Revisitée a justement vocation à explorer la diversité oubliée, et depuis dix ans, Laure Corbari du MNHN insiste pour que les araignées fantômes soient incluses dans les programmes de collecte. Mission réussie, puisque les pycnogonides sont devenus l’un des « VIT » (« Very Important Taxa ») de cette mission corse, grâce à nos chasseurs de fantômes.

Un Ascorhynchus regardant l'objectif de Zdenek Un Ascorhynchus regardant l'objectif de Zdenek © MNHN - Zdenek Duris

Ces derniers continuent de compter leurs points, et aux dernières nouvelles, Sébastien mène le score grâce aux nombreux pycnogonides qu’il a trouvé dans les récoltes de dimanche dernier : avec une quarantaine de spécimens trouvés, et au moins sept espèces identifiées, il semblerait que l’étang de Diane soit particulièrement… hanté !

Romain Sabroux.